Lors du salon "Musicora 99", le G.P.F.O. voulut exposer un Grand'Orgue d'église, comme le faisaient les facteurs au XIX° siècle. Il a choisi l'orgue que Rémy MAHLER était en train de fabriquer pour Saint Etienne de Baïgorry.
Mme Catherine TRAUTMANN, Ministre de la Culture, est venue sur le stand pour inaugurer l'orgue.


Le texte ci-dessous, qui présente la manifestation et l'orgue, est une copie aussi fidèle que possible de l'article paru dans "Les Facteurs d'Orgues Français", revue éditée par le Groupement Professionnel des Facteurs d'Orgues (GPFO), dans son numéro 23.


L      '      É      V      È      N      E       M      E      N      T

SALON MUSICORA - 9 / 13 AVRIL 1999
1900-1999 SECONDE EXPOSITION DU SIECLE
D'UN GRAND ORGUE D'EGLISE A PARIS

                  1900. La Maison Cavaillé-Coll - Mutin présente à l'Exposition Universelle de Paris un grand orgue de 32', qui fait aujourd'hui la fierté du Conservatoire de Moscou. Depuis, pas un seul grand orgue n'avait participé à une exposition de ce genre en France. Depuis quelques années, l'idée de renouer avec cette pratique prestigieuse, qui permettait aux meilleurs facteurs d'orgue du XIXème siècle de présenter au grand public la fine fleur de leur production, germait dans l'esprit de professionnels et d'amoureux de l'orgue.
                  MUSICORA 1999. C'est chose faite, et l'opération est pleinement réussie pour le Groupement Professionnel des Facteurs d'Orgues, qui a eu le courage d'exposer un orgue d'église à ce Salon International de la Musique.
                  Menacée par la baisse des commandes publiques et la concurrence des ersatz ("les orgues" électroniques), cette profession a voulu faire une démonstration de l'excellence de son savoir-faire, et de la beauté irremplaçable de l'orgue à tuyau traditionnel.
                  Le G.P.F.0. avait donc choisi un instrument spectaculaire : celui construit pour l'église basque de BAÏGORRY. Ce « bijou », pesant plusieurs tonnes, mesurant sept mètres de haut, trôna durant cinq jours sur la mezzanine de la Grande Halle de la Villette, où ses sculptures dorées brillant au soleil et son meuble polychrome, vert et fauve, attiraient tous les regards.
                  Arrivés au pied de l'instrument, les visiteurs pouvaient toucher sa console décorée d'incrustations de cuir rouge et de loupe d'orme, caresser le pupitre en ronce de noyer, observer le mécanisme interne de l'instrument qui sentait bon l'huile de lin soigneusement appliquée, et les deux soufflets de 300 kg chacun.
                  Le créateur de cet instrument est Rémy MAHLER, facteur d'orgues à Pfaffenhoffen.


                  Né dans une famille de mélomanes , c'est en accompagnant son père (chef de la chorale paroissiale et directeur de la fanfare de son village) à la messe chaque dimanche, qu'il tomhe amoureux de l'orgue. Fasciné par cet instrument, il entre en apprentissage à l'âge de 19 ans dans un des principaux ateliers alsaciens: la Maison MUHLEISEN. Il y restera 10 ans : «le temps qu'il faut pour maîtriser cet artisanat de haute précision». Il y apprend toutes les règles du métier et se fait déjà remarquer par ses talents de concepteur.

                  Animé du même esprit d'entreprise que son père, qui fonda la fabrique de jus de fruit«CIDOU», Rémy MAHLER saute le pas et se met à son compte en 1985. Les débuts sont difficiles: il faut s'équiper en machines-outils, trouver des clients qui fassent confiance à un nouveau venu. Il commence seul, s'installant provisoirement dans une grange, puis dans le garage familial. Quelques années plus tard, il parvient à racheter les locaux d'une ancienne fonderie du village de Pfaffenhoffen. Il y possède maintenant une vaste surface d'atelier, et emploie 9 personnes, ce qui le classe parmi les principales maisons françaises.
                  Son perfectionnisme, ses qualités artistiques et humaines ont fondé sa réputation qui ne cesse de grandir dans les milieux spécialisés. En douze ans, Rémy MAHLER a construit ou restauré une trentaine d'instruments. Parmi les plus connus, citons ceux de Eschbach, Kruth et Ungersheim en France. Mais il travaille surtout en Allemagne où il réalise 80% de son chiffre d'affaires, car le système allemand de passation des marchés (sur concours) permet aux artisans, d'avantage qu'en France, d'exprimer leur créativité. Il y a édifié plusieurs orgues neufs, d'un style parfois résolument moderne, mais aussi restauré ou reconstruit des orgues historiques à Offenbourg, Donaueschingen, Bretten, Landau, Kirrweiler.

                  L'Atelier MAHLER travaille selon une philosophie bien particulière, alliant l'exigence, le purisme et l'inventivité. L'examen attentif des orgues historiques allemands a permis à Rémy MAHLER de retrouver des styles et des savoir-faire oubliés ou délaissés, ce qui lui fait affirmer simplement : «Lorsque j'ai le choix entre deux techniques, je choisis toujours la plus belle».
                  Toutes les pièces de chaque orgue sont construites dans son atelier, sans sous-traitance. Outre ses compagnons d'atelier, Rémy MAHLER sait s'entourer de techniciens chevronnés, pour la décoration picturale, Hippolyte PULCINI pour la sculpture, et Francis MASER pour la dorure.
                  Fort de toutes ces expériences réunies, il a réalisé pour BAÏGORRY, cet instrument digne de tous les éloges.

                  DESCRIPTION DE L'INSTRUMENT

                  1) BUFFET :
                  Le buffet est inspiré des orgues du XVII° début XVIII° siècle d'Allemagne du Sud.

                  Il est entièrement réalisé en épicéa et décoré en polychromie traitée à la caséine. Le choix de ce bois est essentiellement sonore, car il contribue au mieux à la vibration du buffet.

                  Les sculptures, entièrement faites main par Hippolyte PULCINI, sont réalisées dans du tilleul, bois à la fois tendre et serré, et qui se prête bien à la dorure.

                  Pour l'exécution des dorures, Francis MASER a utilisé du cuivre mat (avec mixion), de l'or fin 22 carats, à l'eau, bruni à l'agate pour les rechampis et les nervures, et de la feuille d'argent patinée pour les montants.

                  2) SOUFFLETS:
                  3 grands soufflets mécaniques de 1,90 m x 2,90 m, d'un poids de 300 kgs chacun, fonctionnent par levage pneumatique, un système propre à Rémy MAHLER

                  3) SOMMIERS:
                  a) Ce sont des sommiers classiques à coulisses. Pas de sommier de pédale indépendant. Principal bass 16' et posaune sont sur le sommier du Grand Orgue, les autres jeux sont par transmission.

                  b) Le principal 8' est intégré entièrement en façade. Le dessin de la façade est dicté par cette volonté, afin de permettre une harmonisation tout en douceur, dans le plus pur style de la polyphonie germanique.
                  c) Toutes les flûtes sont en bois, ainsi que les anches Posaune 16', et basses de Trompete 8', gouttières comprises.
                  d) La tirasse de pédale n'est pas telle qu'on la connait, par mécanique sur clavier, mais par soupapes dans le sommier du Hauptwerk.


                  4) LA MECANIQUE.
                  La mécanique du Grand Orgue est suspendue directement au dessus des claviers.
                  Les claviers sont des copies de modèles allemands (joues découpées et vernies en noir, touches en épicéa, avec placage ébène, dièse en contre collage en os, frontons munis d'un décor découpé et embouti dans la peau de mouton, boutons de registres en bois fruitier teinté, et réalisés en copie d'un modèle du dix-huitième siècle).
                  Les inscriptions de jeux sont écrites sur papier parchemin. Les frontons de touche sont décorés de rectangles en peaux embouties avec fond d'ocre rouge, également d'après un modèle du dix-huitième siècle.

5) LA TUYAUTERIE :
                  Elle est entièrement réalisée dans l'Atelier MAHLER.
                  Les plaques d'étain ne sont pas rabotées par une machine qui en abimerait la structure. Les feuilles de métal sont coulées d'épaisseur et ensuite uniquement martelées par trois passages. Ce procédé permet d'obtenir un métal très dense et sonnant. L'étain est d'un titrage de quatre-vingt sept pour cent et l'étoffe d'environ dix huit pour cent.

                  Le plomb est laminé en atelier.

                  Les tuyaux ouverts sont coupés au ton, les bourdons à calottes soudées, sauf le quintathon, muni de calottes mobiles pour permettre son accord sans dénaturer son harmonie.

                  Le posaune de 16' a des pavillons en épicéa et les gouttières en bois de poirier sont recouvertes de peau. Les languettes en étain sont d'alliage à l'ancienne et martelées. La voix humaine est une copie d'un modèle de Stumm.

                  Les tuyaux en bois sont en épicéa dans les basses, en chêne et poirier dans le médium et dessus. Les lèvres inférieures sont réalisées selon la méthode Hasenmeyer et Metzler, ce qui permet une grande stabilité de l'harmonie, et des attaques et couleurs sonores très riches.

                  Le traitement particulier de ces registres (colle chaude, huile et différentes autres interventions) sont d'un usage peu connu en France.

                  6) HARMONIE:
                  Rémy MAHLER harmonise lui-même ses instruments d'après les données de la polyphonie allemande (pieds assez ouverts, lumières amples, biseaux en plomb munis de fines dents régulières et bouches assez hautes dans la juste mesure de l'intensité en rapport au timbre).
                  Les principaux développent leur timbre et leur tranchant doux grâce à l'équilibre entre la pression et la hauteur de bouche. Les registres en bois permettent l'utilisation en continuo et l'accompagnement avec les ensembles instrumentaux. On peut donc, sans grande difficulté, lors d'un concert exceptionnel, changer la partition sur les bourdons en bois, ce qui permet l'interprétation d'oeuvres musicales très pures. Cette intervention, doit être ponctuelle et pratiquée par un accordeur expérimenté.
                  L'ensemble de la tuyauterie est harmonisé sur la tribune, de sorte à obtenir la pureté des mélanges sans déphasage des forces ou des timbres dans différentes tessitures.
                  Les principaux du grand orgue sont de taille ample et quasiment identiques sur les différents jeux. Le 8' doux et chantant placé entièrement en façade sert de base pour l'octave 4' douce et plus ample. Le 2' et la quinte sont harmonisés plus tranchants. La mixture contribue à la polyphonie par son harmonie franche. La cymbale est plus tranchante que la mixture.
                  Pour obtenir un grand calme dans le jeux, Rémy MAHLER opte pour un tempérament dérivé du mésotonique et réajuste le sol dièse et le ré dièse, l'avantage étant d'obtenir des tierces pures indispensables dans ce genre d'harmonie.
                  Le sommier du grand orgue a les jeux aiguës placés derrière la façade et les flûtes et bourdons à l'arrière. Cette pratique, couramment utilisée par des facteurs tels que Seuffert, Hasenmayer, Ehrlich etc.. contribue, par la présence des principaux, à la polyphonie tant recherchée en Allemagne. Les bourdons en bois qui nécessitent un accord plus fréquent, sont, de ce fait, nettement plus accessibles.
                  Ces jeux composés sont percés directement dans la table pour chaque tuyau, sans gravure dans la chape afin de garantir une grande stabilité de la tenue du son et de l'accord. Les anches sont munies de languettes en étain d'alliage à l'ancienne. Les gouttières, légèrement refermées, sont réalisées par l'Atelier Rémy MAHLER et recuites.

                  L'association " ORGUE EN BAÏGORRY" a laissé une liberté totale à Rémy MAHLER : pas de cahier des charges, pas d'expert, si bien que la conception de l'ouvrage a pu évoluer au cours des travaux.
                  Cet orgue est à la fois un instrument de musique et une oeuvre d'art, et sa création a bénéficié du partenariat du Ministère de la Culture.
                  L'esthétique de cet orgue s'inspire des merveilleux instruments allemands joués au dix huitième siècle par Jean Sébastien BACH.
                  C'est le premier du genre dans le département des Pyrénées Atlantiques.
                  Merci aussi à l'Association «ORGUE EN BAÏGORRY», au MINISTERE DE LA CULTURE, à la commune de BAÏGORRY, au Conseil Général et au Conseil Régional pour leur précieux soutien.

                  Pour réaliser une oeuvre hors du commun, il fallait un artisan exceptionnel. L'Atelier Rémy MAHLER y a apporté toute l'expérience et le savoir-faire qu'il a acquis dans la restauration d'orgues anciens en Allemagne et en Alsace et la construction de grands instruments.

                  Cet orgue embellira la superbe église basque de BAÏGORRY en enrichissant le patrimoine du village. Il soutiendra le chant communautaire et rehaussera la vie liturgique de la paroisse. Il complétera l'animation musicale de la vallée (concerts, stages etc.) comme instrument soliste ou accompagnateur. Il permettra de développer l'enseignement d'un instrument traditionnellement très apprécié au Pays Basque et dans le département. Il témoignera, devant les générations futures, de la vivacité de notre culture en cette fin du XX° siècle et de la compétence d'un facteur d'orgues contemporain, perpétuant les traditions ancestrales.

                  Un grand merci à tous les corps de métiers qui ont participé au déplacement, transport et installation de cet orgue à Musicora, aux collègues du GPFO qui ont aidé Rémy MAHLER dans cette tâche difficile de monter un orgue de cette envergure en 3 jours, alors qu'il faut 3 semaines pour l'installer dans son église, mais le pari a été tenu.

                  Merci également à la F.F.A.O. (Fédération Francophone des Amis de l'Orgue) qui, par le lancement d'une souscription "Marathon pour un orgue à Musicora", a pu soutenir cette opération financièrement en impliquant nombre d'amoureux de l'orgue.